top of page
Rechercher
Photo du rédacteurCynthia Butare

BRISER LE STIGMA ENTOURANT LA VULNÉRABILITÉ DES HOMMES:CONVERSATION AVEC LE CRÉATEUR MOSES TURAHIRWA

Après une année de master au prestigieux institut de mode Polimoda, Moses Turahirwa a acquis de nouvelles compétences afin d’approfondir ses connaissances dans le domaine de la mode. À ce titre, la collection Imandwa a marqué avec brio son retour au Rwanda. Présentée au public à travers une exposition de trois jours, la collection a rendu hommage à la culture rwandaise tout en explorant la fluidité des genres et la masculinité toxique. Un combo qui n’a pas manqué de me surprendre lorsque j’ai reçu l'invitation.




« Est-il pertinent de parler de fluidité du genre et de masculinité toxique au Rwanda ? » ai-je demandé à Moses.


Quelques jours avant l'exposition, il m'a gentiment accordé une heure entière dans son emploi du temps chargé avant l'événement pour m'en parler davantage. Sa boutique Moshions était occupée avec son personnel et celui affairé à l’organisation de l’événement, lesquels travaillaient sans relâche. Dans les coulisses, il y avait des croquis de mode collés au mur. Des tissus partout mais pliés et ordonnés. Des rubans de mesure. Des bobines de machine à coudre. Du fil à coudre. Des perles. Mais absolument aucun indice qui révélait à quoi ressemblerait la collection Imandwa. Alors évidemment, j'étais très intriguée.


« En faisant des recherches, j'ai réalisé que la perception de la masculinité a considérablement changé dans la société moderne rwandaise », a répondu Moses.


« En parlant de mode, tu serais surprise de voir à quel point les vêtements n’étaient pas aussi genrés », a-t-il poursuivi. « Il était tout à fait normal pour Mutara III Rudahigwa et d'autres rois de porter des drapés fixés au niveau des hanches afin de couvrir le bas du corps. Ainsi, en portant le mushanana traditionnel, leur masculinité n’était pas remise en question. Lorsqu'ils portaient un umugara long, majestueux et imposant, leur masculinité n’était pas remise en question. Pas plus que lorsqu'ils portaient des perles ou des bijoux. Par conséquent, en tant que créateur, il est intéressant pour moi de voir comment nous perdons notre culture à travers ce que nous portons aujourd'hui ainsi que notre capacité à nous exprimer. »


Lorsque l'exposition de trois jours a débuté, je suis arrivée tôt comme je le fais habituellement lorsque je filme pour avoir une idée de l'espace. Alors que les invités étaient conviés à un verre de bienvenue au bar, j’étais autorisée à entrer pour commencer à filmer. À l'intérieur, je me suis soudainement retrouvée dans un monde riche en textures et en variations de surface. Le lieu avait plusieurs salles, chacune ayant sa propre atmosphère distincte. L’une d’entre elles contenait des pots en terre cuite posés à même le sol dans l’un de ses coins, une autre abritait de petites maisons en paille avec des corbeaux noirs suspendus au plafond. Je trouvai dans une troisième des haricots rouges brillants collés les uns aux autres de sorte à créer un mur de deux mètres – le tout conceptualisé par son ami de longue date, Cédric Mizero.


La nuit est tombée avec les invités dorénavant tous présents. L'hôte de la soirée, Jeanine Munyeshuli, a dit quelques mots en guise d’introduction, suivis du discours de bienvenue émouvant de Moses.


« Cette collection est un rêve artistique afin que nous puissions redéfinir ce que la mode peut être – une mode libre des attentes et au-delà des normes que nous pouvons avoir », a déclaré le créateur. « Je suis très fier de la collection Imandwa, car elle représente une grande partie de ce que je pense du monde, de la place que j’y occupe et de l'avenir de mon pays. »


Je découvrais un côté doux de Moses que je n'avais jamais vu.


En l'interviewant, j'ai pensé que j'avais été trop intrusive en lui demandant en quoi le sujet de la masculinité toxique lui était personnel. Il a partagé avec moi que plus jeune, il sentait qu'il devait honorer les attentes qui étaient placées en lui. Élevé par une famille chrétienne traditionnelle de l'ouest du Rwanda, il était un bon élève, réussissant ses études d'une école à l'autre : du pensionnat de Rusizi, au pensionnat de Butare pour ensuite être diplômé du Collège Régional Polytechnique Intégré (IPRC). C’est lors de ses études d'ingénieur civil à Kigali qu’il s'est intéressé à l'industrie de la mode, en commençant par le mannequinat – une voie qui n'était pas forcément acceptée comme masculine au Rwanda. C'est en 2015 qu'il a lancé sa marque Moshions.


« Les jeunes hommes sont incités à se conformer à un moule, même s’il ne correspond pas à ce qu’ils sont », a avoué Moses. « De telles choses me touchent vraiment parce que c'est ce qui empêche les gens de vivre avec authenticité. Et c'est ce que j'essaie d'exprimer à travers mes créations. »


Alors que Moses emmenait le premier groupe d’invités à travers l'exposition, de nouveaux éléments – absents de ma première visite de l’exposition – sont alors apparus, apportant à l’espace une tout autre dimension : des chants traditionnels de Bill Ruzima aux notes aiguës, des couleurs vibrantes des tenues des mannequins à leur performance et leur clin d'œil évident à la vulnérabilité des hommes, la masculinité rwandaise s’est vue à nouveau imaginée et incarnée au travers de cette expérience immersive.


« L'exposition commence ici avec cette tenue », a commencé Moses en regardant le mannequin.


Fondue dans son décor de briques bleues teintes à la main et empilées les unes sur les autres, la présence du mannequin possédait la pièce. Sa performance faisait ressortir encore plus la grâce, la délicatesse et la vulnérabilité du travail de Moses. Dès que Moses eut terminé de présenter la tenue, le mannequin a retiré théâtralement son masque ancestral en bois, qui cachait ses émotions, pour nous regarder droit dans les yeux et nous transmettre des émotions fortes.


Moses a poursuivi : « La couleur magenta que l'on voit sur le bas de la chemise est obtenue à partir d'extrait de cochenille. En fait, j'ai teint tous les tissus de la collection Imandwa avec des ingrédients naturels pour connecter les tenues à cette idée d'authenticité dans un monde où tout devient superficiel. »


Le reste de l'exposition comportait cinq autres tenues. Lorsque les pièces n'étaient pas roses, elles étaient bleues. Un bleu que Moses a obtenu à partir de plantes indigo selon une méthode ancestrale consistant à faire bouillir les feuilles dans de l'eau pour les rendre solubles afin qu'elles puissent imprégner le textile. Chacune de ces tenues était une interaction audacieuse entre l’esthétique traditionnelle et contemporaine. Un mannequin portait un long drapé en hommage au mushanana traditionnel, un autre avait enfilé un pull en laine à l’effigie du roi Mutara III Rudahigwa portant une coiffure amasunzu, un troisième était revêtu d’un blazer recouvert de la silhouette de la reine Gicanda aux cheveux peignés en la coiffure Uruhanika nouée avec un ibyanganga.


Ce qui m'a le plus frappé avec l'exposition Imandwa, c'est sa capacité à faire une proposition artistique sur des problématiques sociales tout en la contextualisant dans la culture rwandaise. Ainsi, son interprétation de la masculinité a été réalisée avec un objectif sous-jacent clair : examiner la culture pour démanteler les rôles de genre actuels attachés aux vêtements afin d'élargir la portée dans laquelle les hommes peuvent s'exprimer librement. De cette façon, concevoir une exposition – par opposition au défilé de mode habituel – a permis à Moses de présenter son travail comme un art. Et en tant qu'artiste, il a réellement réussi à suggérer aux invités de reconcevoir leur vision de la masculinité.


Moses a placé la barre très haut pour l'ensemble de l'industrie créative. J'ai quitté l'exposition inspirée pour continuer à développer mon univers et exprimer ma créativité avec les outils dont je dispose. J’espère un jour pouvoir être aussi confiante dans ma prise de position pour défendre moi aussi ce en quoi je crois.

1 vue0 commentaire

Comments


bottom of page