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Photo du rédacteurCynthia Butare

LA RÉPRESENTATION DU RWANDA AU CINÉMA : CONVERSATION AVEC LE CINÉASTE SAMUEL ISHIMWE

Après être sorti diplômé de la HEAD de Genève, Samuel Ishimwe est revenu au Rwanda pour construire des récits tout en nuance et en texture. Son objectif est d’offrir un point de vue entièrement nouveau sur le pays vis-à-vis des films produits jusqu'à présent. Le patrimoine culturel rwandais est un sujet qui anime Samuel. Évoquant un héritage complexe et pluriel, il est lui-même plein de subtilités et d'ambivalence. Fin et profond, Samuel a un franc-parler ; il a la capacité d’être à la fois délicat et drôle dans une même phrase. Le cinéma qu'il produit au Rwanda est véritablement pragmatique, mais aussi percutant et artistique.





La HEAD (Haute École d’Art et de Design) est située à Genève, où j’ai passé toute mon enfance. Dans cette ville, Samuel a ainsi rencontré tous mes amis et ma famille. Il a même réalisé un reportage sur Urunana, une troupe de danse traditionnelle rwandaise que mes parents ont cofondé avec d'autres personnes que j'ai toujours considérées comme ma famille. C'était vraiment comme s'il avait vécu ma réalité là-bas, tout ce que j'aime de Genève, qu’il s’agisse des gens, des rues bordées de platanes, des terrasses l'été au bord du lac ou de l'odeur des marrons grillés qui embaume la ville à l’automne.


J'ai rencontré Samuel quelques mois seulement après mon arrivée au Rwanda et quelques mois avant qu’il n’emménage à Genève. Après avoir vécu un an au Rwanda, je suis passée à Genève quelques semaines pour les vacances, lors desquelles j’ai retrouvé mon ami.


Lors d’un dîner, je lui ai dit ceci: « Ton parcours donne envie, du bachelor que tu es en train de suivre à toutes les expériences que tu vis. C’est sûr, dans quelques mois, je rentre à Genève. J'ai déjà mon billet d'avion. »


À ce moment-là, après quelques années passées en Angleterre, je n’avais pas vécu en Suisse depuis sept ans. Genève me manquait beaucoup. Mais aussi, je n’étais pas entièrement satisfaite du travail que je faisais au Rwanda. J’avais un travail, mais je n’avais pas réalisé qu’en arrivant au Rwanda avec un master en réalisation de documentaire, je me retrouverais à travailler comme vidéaste pour créer du contenu institutionnel. En 2015, j’étais loin de m’imaginer qu’il y aurait par la suite une scène artistique qui pourrait potentiellement se développer.


« Même si j’adore ce que je fais ici », me dit alors Samuel, « je rentrerai au Rwanda une fois que j’aurai obtenu mon bachelor. Cette aventure a une fin, et surtout, j’aimerais pouvoir utiliser ce que j’aurai appris ici au Rwanda pour faire des films. Toutes les histoires que je voudrais raconter sont là-bas. »


Pour Samuel, l'avantage d'être dans une telle école était l'accessibilité – du matériel, des possibilités de réseautage avec les équipes des films indépendants dont il pouvait s'inspirer. Ce qui a aura le plus marqué Samuel, cela aura été d’apprendre à tirer parti de ce que l’on trouve sur le terrain, lors du tournage des films – de vraies personnes, de vrais lieux, de vraies histoires. La HEAD a une position claire et forte, axée sur le cinéma indépendant, qui s'éloigne des blockbusters et mégafranchises du cinéma mondialisé.


« Ce que j'ai réalisé, c'est que tout ce que j'apprends sur le cinéma indépendant peut être appliqué au Rwanda. Maintenant que j'ai appris à décortiquer tous les composants d'un film, j'ai le sentiment que ces histoires ont en réalité toujours été sous mes yeux. Et pour cette raison, je suis très enthousiaste à l’idée de revenir et de faire ces films. Alors, pourquoi rester à Genève ? »


Deux ans plus tard, je n'étais pas rentrée à Genève, et quant à Samuel, il était rentré à Kigali, comme il l'avait dit. Dans le cadre de son projet de dernière année, il a réalisé Imfura, pour lequel il a remporté le Prix du jury de l'Ours d'argent en 2018 au très prestigieux festival du film de la Berlinale. La cinématographie de son film a su se doter de la capacité d’introduire une dimension unique pour faire réfléchir sur l’histoire. Son œuvre a en effet réussi à atteindre l’objectif ultime de l'art : faire découvrir de nouvelles perspectives, enchanter le regard, interpeller et toucher la sensibilité.





Intrigué, j'ai demandé à Samuel pourquoi il n’est pas ensuite resté à Genève, ayant accompli tant de choses en seulement deux ans : n’aurait-il pas été plus facile de rester à Genève pour éventuellement obtenir des subventions, d’autant plus avec toute la visibilité acquise grâce à la Berlinale ?


« Probablement. Mais c'est ici, au Rwanda, que je souhaite m’établir. Il y a tellement de choses à explorer ici. Et pour écrire des histoires sur ce pays, j'ai besoin d'être ici. »


Je ne pouvais pas le nier : il y a tant à faire ici.


Avec le temps, j’ai appris à apprécier davantage la culture rwandaise, de la poésie à la profondeur émotionnelle des coutumes et des traditions, jusqu’aux cérémonies culturelles. La beauté des paysages du pays me laisse sans voix et capture mes sens – une aubaine pour le cinéma.


« La joie de créer au Rwanda », me dit Samuel, « c’est que l'art en lui-même évoque le mystère. Il y a tellement de poésie, mais aussi de mystère dans la culture rwandaise… et j'adore ça ! La façon dont les gens parlent, la façon dont les gens se saluent, ou la façon dont les gens parlent lors des cérémonies… »


L’attrait de Samuel pour la culture rwandaise est palpable, et en particulier pour le potentiel du cinéma au Rwanda. Cependant, les quelques films produits sur le pays que nous connaissons manquent cruellement de nuances. Qu’il s’agisse d’Hotel Rwanda (2004), de Shooting Dogs (2005) ou encore de Black Earth Rising (2018), tous ces films ne sont ni réalisés, ni produits par des Rwandais, ni joués par des Rwandais, ni même tournés au Rwanda, mais en Afrique du Sud ou au Ghana. En somme, l'image du génocide perpétré contre les Tutsis est déployée pour fabriquer des produits hollywoodiens. Le contexte historique est mal utilisé, les faits sont simplifiés à l'extrême, ou même complètement modifiés pour obtenir du divertissement et des profits.


« D'après mon expérience » , me dit alors Samuel, «les gens ne perçoivent pas le Rwanda de manière humaine. C'est toujours très éloigné d’eux. Dans tous ces films réalisés par des occidentaux, il n'y a pas d'empathie. Lorsque tu filmes une scène de viol, par exemple, et que tu rends la scène très graphique, je me dis que tu n’as pas beaucoup d’empathie pour la personne qui se fait violer. Pour moi, cela montre la déconnexion du cinéaste. Cela donne l’impression que les Noirs peuvent s'entretuer, que les Africains peuvent violer… et qu’il n’y a pas de problème ! Et malheureusement, c’est le danger que cela représente, quand on est déconnecté. »


En revanche, le lien que les cinéastes rwandais entretiennent avec leur pays est plus naturel et fait moins dans le sensationnel. Lorsqu’ils réalisent des films sur le génocide – s’ils choisissent d’aborder ce sujet – les films sont incontestablement plus personnels et plus organiques.


Ainsi, lorsque je lui demande ce qui est nécessaire pour que la scène cinématographique rwandaise se développe et s'épanouisse, voici la réponse qu’il m’adresse :


« Ce dont nous avons besoin, c'est de nous débarrasser de ces images qui nous ont été imposées. Tous ces films que nous regardons déteignent sur nous. Ainsi, lorsque les cinéastes écrivent des scénarios, ils ont tendance à les remplir de violence. Ils pensent : « machettes – arme à feu – viol – sida ». Et pourtant, ce que le public veut explorer au cinéma, c'est quelque chose qui les mette en phase avec leurs émotions. C'est ainsi que vous créez des films qui deviennent universels, car il y a des milliers de personnes qui ressentent les mêmes émotions, qui ont les mêmes sensibilités. »


Samuel s’interrompt, puis me demande : « Et toi ? Pourquoi n’es-tu pas revenue à Genève ? Pourtant, la dernière fois que nous nous sommes vus, tu disais à quel point Genève te manquait et tu prévoyais de revenir. »


Il y a plusieurs raisons pour lesquelles je suis restée à Kigali – l’une d’elle étant que je suis aujourd’hui fiancée. Mais avant même que cela n'arrive, j'ai aussi ressenti le besoin de rester pour m'inspirer davantage, tout comme Samuel. Même si je vis au Rwanda depuis mes 27 ans seulement, j’ai le sentiment d’avoir beaucoup de rattrapage à faire. Je suis consciente que le patrimoine culturel est riche et qu’il fournit énormément d’inspiration aux artistes. À mesure que notre créativité se développe, notre quête d‘identité et de sens évolue également. Et bien que l'identité comporte de multiples facettes, la composante culturelle est essentielle, et son point de départ se trouve peut-être même au niveau du cœur et de l’âme. Et ainsi, les expressions créatives ne peuvent que réellement avoir de sens que lorsque nous sommes en phase avec nous-mêmes.


« J’ai décidé de rester parce que je voulais moi-même être inspirée. Rester au Rwanda est pour moi l'opportunité de stimuler davantage mes idées et de réorienter mes pensées pour produire du contenu doté de plus de profondeur et de relief. En revanche, malgré tous les efforts que je fournis pour mieux comprendre ma culture, je ne peux pas rattraper les 27 années que j'ai vécues à l'étranger. Et donc, c'est pour cela que je me demandais si mon contenu ne manquerait pas de nuance. »

« Si cela peut te rassurer, ce qui compte pour que tes projets aient une réelle portée, c'est ta volonté de percevoir au-delà de la surface et de sortir du sensationnel. Il s’agit donc de prendre le temps de créer des liens avec les récits que tu aimerais raconter pour non seulement élargir tes perspectives et obtenir quelque chose qui ait de la substance. »





C’est toujours un réel plaisir d’échanger des idées avec Samuel. Lorsque nous nous voyons, je me sens toujours mise au défi et prête à dépasser mes limites. Le syndrome de l'imposteur auquel nous sommes confronté-e-s lorsque nous nous lançons dans quelque chose de nouveau peut parfois être effrayant.


Pourtant , je ne peux rien changer dans mon parcours et à toutes les choses auxquelles je n’ai pas pu être exposée étant plus jeune. Mais tant que nous nous donnons les moyens pour émettre des idées et construire une pensée que nous avons envie d’exprimer avec justesse, argument et structure, nos œuvres pourront alors démontrer de la profondeur. Nos sensibilités nous guideront. Ils nous permettront de nous orienter vers des sujets plutôt que d’autres, de prêter davantage attention aux thématiques que nous trouvons fascinantes ou contradictoires. Et surtout, nous saurons que le génocide n’est pas le seul évènement qui nous définit en tant que cinéastes rwandais, ayant grandi ou non au pays. Il n'y a aucune raison de se restreindre et de penser que nous n'avons que l’horreur à partager, car ce n’est pas le cas.


Nous sommes bien plus que cela et nous avons tant de récits à partager avec le monde.

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