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Photo du rédacteurCynthia Butare

LE MEILLEUR CONSEIL QUE L'ON M'AIT DONNÉ : «COMMENCE PAR CE POUR QUOI TU ES DOUÉE»

Ce chemin est le tien et celui de personne d'autre, il est incomparable. Fais-toi confiance, même si les nouveaux départs peuvent être éprouvants. Le destin a fait que tu te retrouves à vivre cette expérience. Donc honore-là, prends ton temps et parcours les étapes nécessaires pour y arriver. Commence par ce pour quoi tu es doué•e. Tu gagneras confiance en toi et en tes projets. Tu apprendras à connaître tes forces, ce qui te permettra de briller de mille feux dans tes domaines d’expertise et optimiser tes chances de succès. Ton chemin prendra forme de manière organique et mouvante.




Avant de vivre ici, j’ai toujours eu cette idée préconçue selon laquelle on ne pouvait gagner sa vie en Afrique qu'en évoluant dans des industries liées aux besoins essentiels. Je pensais honnêtement que les opportunités ne variaient qu'entre les secteurs de la santé, de l'agriculture, des transports, des infrastructures, de la production et de la consommation d'énergie. Je pensais que tu n'étais légitime de rentrer au pays que si tu avais trouvé un remède contre un virus très virulent comme l’Ebola ou si tu avais acheté des parcelles pour te lancer dans l'agro-alimentaire pour produire des ananas ou des mangues. Et lorsqu’il ne s’agissait pas de besoins essentiels, je pensais que la seule raison légitime de rentrer au pays ne pouvait être que d’avoir étudié une branche compliquée de l'économie pour rejoindre un cabinet ministériel ou s’investir dans le domaine de la consolidation de la paix et de la résolution de conflits, parce que l’Afrique, dans mon inconscient, se résumait à la guerre, le désespoir, la pauvreté et la maladie.


De toute évidence, c’est embarrassant de l'admettre aujourd’hui.


En grandissant en Occident, tu as intégré des biais, que cela te plaise ou non. Tu n’es peut-être pas aussi influencé•e, car étant plus jeune tu as peut-être beaucoup voyagé au pays – tout comme moi d’ailleurs. Néanmoins, une fois installée au Rwanda, j’étais dans le flou, ne pensant pas qu’il fût possible de trouver un public pour les expressions créatives. J'avais d'abord emménagé au Rwanda pour faire un documentaire et j'avais sous-estimé le temps qu'il me faudrait pour entrer en contact avec les protagonistes pour aller au-delà de la simple surface. Par conséquent, je devais trouver un emploi pour subvenir à mes besoins et je me demandais ce que je pouvais bien faire. Que pouvais-je réellement apporter à ce marché ? Comment pouvais-je être utile ? Comment pouvais-je jouer mon rôle ? Quelles compétences avais-je acquises qui pouvaient apporter de la valeur ? Quelle était ma plus-value ?


Que pouvais-je réellement apporter à ce marché ? Comment pouvais-je être utile ? Comment pouvais-je jouer mon rôle ? Quelles compétences avais-je acquises qui pouvaient apporter de la valeur ? Quelle était ma plus-value ?




Quelques mois après mon arrivée, lorsque j'ai déménagé il y a six ans, j'ai pensé reconsidérer un poste dans la construction pour lequel j’avais eu un entretien d’embauche. J’imagine que tu te demandes comment je me suis retrouvée à cet entretien. Eh bien… c'était un gros malentendu. J'étais à une soirée organisée pour la Saint-Valentin, laquelle s'est avérée être plutôt un apéro afterwork. La ville étant petite, les gens savent que tu es nouveau•lle. Il y a quelque chose en toi qui respire la candeur et l’envie de faire quelque chose, quoi que ce soit, coûte que coûte. Et les employeurs le relèvent très rapidement. Certains en profitent pour repérer de nouveaux talents, d'autres tirent parti de ton besoin palpable et désespéré de pertinence dans ce nouvel espace pour leurs propres avantages. Et forcément, il n’y a pas de règle. Il n'y a ni méchants ni gentils, juste des gens qui essaient d'avancer.


La ville étant petite, les gens savent que tu es nouveau•lle. Il y a quelque chose en toi qui respire la candeur et l’envie de faire quelque chose, quoi que ce soit, coûte que coûte. Et les employeurs le relèvent très rapidement.

Alain (appelons-le ainsi) a ajusté sa proposition pour l’’aligner davantage avec ce que je cherchais. Un verre de vin à la main, je me souviens avoir dit : «Oui, absolument. Je suis ouverte », « Je suis flexible », « Je suis heureuse de pouvoir me joindre à toi si je peux t’être utile. » En gros, j'ai dit tout ce qui me mettait dans la case « cherche désespérément un job ». Forcément, avec un chardonnay toute conversation peut donner l'impression d'être en phase avec quelqu'un.


Et ainsi, le soir en rentrant, je pensais avoir trouvé un job dans une entreprise prometteuse en tant que responsable des médias sociaux et community manager.




Quand Alain m'a rappelée quelques jours plus tard, il est venu me chercher chez ma tante Cécile avec qui je vivais à l'époque. Il est venu avec son associé Olivier (appelons-le ainsi). Nous sommes arrivés sur place et avons visité l'ensemble du chantier. Forcément, je me disais bien que le travail ne se résumerait pas uniquement à la gestion de leurs réseaux sociaux. En tant que photographe et vidéaste, je me disais qu’ils s’attendraient sûrement à ce que je crée du contenu en plus. Mais en regardant autour de moi, j'ai eu d’un coup l'impression que mon rôle serait plutôt de gérer les travailleurs, ce que j'aurais été bien incapable de faire. Je ne m’y connaissais tout simplement pas en construction. En regardant les seaux de ciment, je me disais que je ne saurais même pas s’il était de bonne qualité. Comment aurais-je pu le savoir ? Comment savoir s'il était bien appliqué ? Si c’était même bien du ciment en premier lieu ?


Quand Alain et Olivier ont eu fini de me présenter l'entreprise, ils m'ont accueillie dans leur bureau et m'ont demandé si le poste m'intéresserait. Il m'a fallu deux secondes pour répondre :

— Non.

— Comment ça « non » ?

— Je suis vraiment navrée. Je ne pense pas être la bonne personne pour ce poste.

— Tu serais la bonne personne pour quel poste alors ? me demanda Olivier.


Très bonne question. Je n’en savais rien.


Je n'étais pas tout à fait sûre de ce qui me conviendrait le mieux, surtout pour ce marché. Ayant un master en réalisation de documentaires, les projets que je recherchais consistaient à changer la perception d’une audience, quel que soit le sujet, afin de le lui faire voir à travers un prisme différent, de révéler la beauté qui nous entoure mais qui passe souvent inaperçue dans l'effervescence quotidienne de la vie. J’amenais l’audience à regarder au-delà des banalités que la vie nous réserve. Je savais que je ne pouvais pas dire exactement à Oliver : « Mon but est de confronter la réalité et de remettre en question ce qui est statique ». Mais avec un bachelor en communications numériques en poche, je pensais pouvoir aider les clients avec leurs stratégies marketing, en ce compris la maintenance du leur site Internet et la gestion de leurs médias sociaux. En poursuivant cette voie-là, j'avais encore bon espoir de pouvoir encore être créative grâce à la création de contenu, à rendre leur communication visuelle et attrayante et, du coup, de ne pas être trop à côté de ce que je voulais réellement faire.


— Ce que j’avais compris à la base c’est que le poste consistait à gérer les réseaux sociaux de votre société. Puisque je suis photographe et vidéaste, j’aurais imaginé créer en plus un contenu de qualité qui fait avancer votre stratégie marketing.


Un silence s'est soudainement installé. Alain et d’Olivier se sont regardés, déconcertés.


— Ah, les artistes! s’est exclamé Olivier. Alors, nous avons conduit jusqu’ici pour que tu nous dises non?!





Quand j'ai partagé cette histoire avec mes tantes, elles ont d'abord dit que j'avais peut-être été trop rapide pour dire non. J’ai culpabilisé et j'ai pensé que j'avais probablement agi comme une enfant gâtée. Aurais-je dû dire oui ? Était-ce le chemin que j’étais censée prendre ? Était-ce la seule façon dont je pouvais gagner ma vie pour rester au Rwanda ? Est-ce que mes projets autour de l’expression créative étaient dorénavant destinés à n’être réalisés que le week-end ? Est-ce que Kigali était vraiment l’endroit pour nourrir ma créativité et mes idées ?


— Tu m’as mal compris. Je ne pense pas que tu aies besoin de prendre ce poste, me dit Tantine Cécile. Ce que j'essaie de dire, c'est que tu aurais dû donner un jour ou deux pour donner une réponse. Juste pour être sûre de rester en bons termes avec eux. L’information est plus facile à digérer pour les gens lorsqu'ils pensent que tu as pris le temps d'y réfléchir.

— D’accord, mais est-ce que je ne devrais pas les rappeler pour dire que je suis quand même intéressée? Cela fait quand même maintenant trois mois que je suis à Kigali. Je pense qu'il est temps que je trouve un job.

— Et tu trouves que c’est une bonne raison pour travailler dans la construction alors que tu ne connais rien à ce domaine ? Et l’argent que t’a coûté tes études… On le balance par la fenêtre ?


Tantine Cécile avait peur que je m’imagine travailler dans n’importe quel secteur.


— Tu sais, nous sommes tous très enthousiastes à l’idée que la diaspora rentre au Rwanda. Mais malgré tout, cela ne signifie pas que les jeunes issus de la diaspora soient utiles dans n’importe quelle profession, tout simplement parce qu’ils ont évolué en Occident. Pourquoi postulerais-tu pour des postes que tu n’avais même pas envisagé avant d’emménager au Rwanda ?


Elle m'avait presque fait me sentir comme l'une de ces épouses d'expats qui, à leur arrivée, cultivent des épices dans leur jardin, boivent des jus détox à l'eau de coco et se réinventent en tant que coach de pilates – bien qu'elles ne soient pas du tout formées pour cela – parce qu'elles conçoivent une Afrique où tout peut être improvisé. Mais qu’est-ce que j’allais bien pouvoir faire alors ?


— Même si nous ne comprenons pas toujours en quoi consiste ton travail, me dit ma tante Jacqueline en essayant de me rassurer, ce que je sais avec certitude, c’est que tu vas semer la confusion si tu commences à travailler dans la construction. Tu pourrais peut-être commencer par ce pour quoi tu es douée et développer tes compétences sur base de ça. Essaye de voir ce qui est possible de faire avec tes compétences et regarde comment tu peux les adapter pour ce marché. Regarde ce que tu peux faire sans nécessairement changer complètement de voie. Mais surtout n’abandonne pas. Sinon, le jour où une opportunité se présentera dans ton domaine, les gens ne sauront pas s'ils peuvent te recommander ou pas.


J'aurais pourtant juré que mes tantes Cécile et Jacqueline auraient préféré que j'obtienne ce poste plutôt que de tenter l’aventure en tant que photographe et vidéaste à Kigali. Mine de rien, elles venaient de me donner un gros coup de boost pour que je m’établisse et fasse ma place dans ce milieu. J'avais en face de moi des gourous du développement personnel. Elles m'ont fait comprendre que la chance peut être provoquée et que les opportunités peuvent être créées. Ce que je devais faire désormais, c'était cultiver une image qui me permettrait d'optimiser ma recherche d'emploi. Pour que les gens qui me connaissaient – ne serait-ce même qu’un peu – disent à leurs cercles d’amis : « Ce que je sais sur Cynthia, c'est qu'elle créé du contenu. » Ou : « Si vous comptez faire une campagne de contenu à relayer sur les réseaux, Cynthia est la personne à qui parler ! »


Elles m'ont fait comprendre que la chance peut être provoquée et que les opportunités peuvent être créées. Ce que je devais faire désormais, c'était cultiver une image qui me permettrait d'optimiser ma recherche d'emploi.


Ces scénarios ne sont possibles qu’en travaillant sur son positionnement pour atteindre ses objectifs. J'ai donc alors commencé à concentrer tous mes efforts pour développer un noyau dur qui pourrait activer le bouche-à-oreille, lequel me permettrait de saisir les meilleures opportunités. C'est ainsi que j'ai eu l'idée de me faire un logo, avec mes initiales C.B. et le bouton « play » sur le côté. C'est le même logo que j'utilise encore aujourd'hui sur les réseaux sociaux, et à ce jour, il est très efficace.


Cinq mois après mon entretien avec Alain et Olivier, j'ai commencé à travailler pour Illume Creative Studio en tant que vidéaste. J'y ai travaillé pendant un an pour filmer et monter leur contenu vidéo. Ensuite, je suis devenue membre du premier fellowship rémunéré en Afrique pour les créateurs de contenu lancé par Akoma, où j'ai appris à exécuter des campagnes de contenu. Ensuite, j'ai travaillé en tant que freelance pendant trois ans pour créer du contenu visant à maximiser la visibilité des entreprises. La communication étant visuelle aujourd'hui, ma passion pour la production de contenu visuel m'a amené à rejoindre récemment la division de communication du Rwanda Development Board en tant qu'analyste pour traduire les besoins de communication en contenu visuel.




En quelques mots, j’ai pu gravir les échelons grâce et selon mes compétences. J'ai pu constater que ce marché est en constante évolution. Et je n’ai certainement pas besoin de travailler dans le domaine de la construction pour gagner ma vie. Aujourd'hui, les conseils de mes tantes résonnent encore en moi. Chaque fois que je me sens mise au défi avec une tâche qui m'est confiée, je me dis encore que je dois commencer par ce pour quoi je suis douée, ce avec quoi je suis à l’aise et utiliser mes atouts pour me démarquer. Cependant, la direction de mon travail me fait parfois penser que je me suis peut-être éloignée de ce que j'aimerais vraiment faire, à savoir la photographie et la vidéographie documentaire. Mais il y a des décisions que j'ai prises en cours de route pour gagner suffisamment ma vie, subvenir à mes besoins et soutenir mes projets d’ordre créatif (parce que cela a un coût). Je crois que le chemin que j'ai parcouru me donne les fondements dont j'ai besoin pour faire avancer ma carrière et réaliser malgré tout mon rêve. J'ai la conviction que la plénitude de ma créativité peut néanmoins être embrassée et appréciée. J’aurais aussi appris en cours de route que la façon dont les artistes gagnent leur vie est complexe et ne se mesure pas simplement en termes de clients et de ventes.


Chaque fois que je me sens mise au défi avec une tâche qui m'est confiée, je me dis encore que je dois commencer par ce pour quoi je suis douée, ce avec quoi je suis à l’aise et utiliser mes atouts pour me démarquer.

Ce qui me reste à comprendre, c’est comment trouver la bonne équation pour créer du contenu qui touche l'âme et l’esprit tant pour son esthétique que sa capacité à communiquer un message fort, et qui me permette également de gagner ma vie pour subvenir à mes besoins, mais aussi pour investir dans de futurs projets.


Comme on dit : « Tout est possible quand on y croit. » Un pas à la fois, mon chemin se fraye.




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