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Photo du rédacteurCynthia Butare

LES BIAIS DE GENRE DANS LES INDUSTRIES CREATIVES SONT TOUJOURS BIEN ACTUELS

Joyeuse Journée internationale de la femme à toutes les pionnières et passionnées de la scène créative ! Votre force rayonne et transcende avec grâce. Vos perspectives inspirent et posent des défis. Vous êtes plus que compétentes et vos voix méritent d’être entendues. Votre travail est un ajout fondamental à cette mosaïque de genres pour refléter la pluralité de la société qui existe au sein de nos audiences. Continuez à persévérer et croyez en votre potentiel ! Aujourd'hui, nous vous célébrons, vous, ainsi que tout ce que vous faites et tout ce que vous êtes.







Alors que nous célébrons la Journée internationale de la femme, je dédie ce billet à toutes les femmes créatives qui défient le statu quo et continuent d’avancer et de croire en leur vision. La Journée internationale de la femme est une journée mondiale de réflexion qui sert d’appel à l’action pour faire avancer et changer les paradigmes de la pensée. C'est une journée où nous sommes mises à l'honneur et où nos réalisations sont célébrées.


Le pourcentage de femmes au Parlement étant de 64 % – taux le plus élevé au monde –, il est le reflet d’une société où les normes liées au genre se déconstruisent.

Il n'y a pas de meilleur endroit pour être une femme qu'ici, à Kigali. Le pourcentage de femmes au Parlement étant de 64 % – taux le plus élevé au monde –, il est le reflet d’une société où les normes liées au genre se déconstruisent. Les postes gouvernementaux doivent être également occupés à au moins 30 % par des femmes. Au-delà des chiffres, la présence féminine aux postes de direction et de décision est véritablement palpable et a toujours été la norme depuis mon arrivée ici. Le premier poste que j’ai eu ici était au sein d’Illume Creative Studio, agence de communication fondée par cinq initiateurs, dont trois femmes. Durant les trois années où j’ai travaillé à mon compte, j'ai toujours été recommandée, référée et embauchée principalement par des femmes. De retour sur le marché de l’emploi, je travaille aujourd’hui à RDB, dans le service Communication qui est une division dirigée par une femme, elle-même rattachée à une directrice des Stratégies et Opérations, à son tour rattachée à la CEO. Une lignée de femmes.


Néanmoins, la photographie (et tous les métiers alentours) est l'un des domaines qui restent obstinément dominés par les hommes.

La représentation des femmes sur le marché du travail prospère et prolifère. Néanmoins, la photographie (et tous les métiers alentours) est l'un des domaines qui restent obstinément dominés par les hommes. Auparavant, les appareils photos et les caméras étaient beaucoup plus lourds et plus encombrants, et c’est ainsi que le mythe de la force physique des hommes, soi-disant requise pour le rôle de photographe et de caméraman est né. Bien que les nouvelles technologies aient progressé, donnant lieu à des caméras plus petites et plus légères, persiste la perception que ce métier n'est tout simplement pas pour nous, les femmes.


C’est pourquoi la représentation de la femme est primordiale.


Elle casse les idées reçues sur les femmes des industries créatives. Elle façonne et contre‑façonne ce que les gens pensent du métier et qui devrait assumer ces rôles. Cela apporte de nouvelles perspectives et pousse à la réflexion. Lorsque les femmes créatives sont visibles, cela élimine petit à petit les barrières qui entravent nos efforts, favorise notre sentiment d'appartenance et crée l'égalité d'accès et des chances pour tous.


Quand j'ai commencé à faire de la photo et de la vidéo, je n'avais jamais réalisé à quel point il y avait peu de femmes photographes et vidéastes. J'avais acheté ma caméra lorsque j’habitais en Angleterre lors de la réalisation de mon premier documentaire « KICKIN 'IT WITH THE KINKS ». Et comme le sujet portait sur la relation que les femmes noires entretiennent avec leurs cheveux, j'interviewais exclusivement des femmes noires et j'assistais à des événements auxquels ces dernières participaient. À partir de là, j'ai commencé à obtenir des mandats liés à la cosmétique de la part de clientes afro-descendantes que j'avais rencontrées lors de ces événements. J'ai également rencontré des photographes, des graphistes et des développeuses web. Que des femmes noires. Et par conséquent, je ne me suis jamais sentie exclue. Je n'avais encore jamais réalisé à quel point cet univers était également extrêmement masculin en Angleterre.





Lorsque j'ai emménagé au Rwanda, je n'avais, au départ, pas d’idée précise de la façon dont je gagnerais de l’argent. Je savais que le marché n’était pas aussi vaste que celui de Londres pour aider des entreprises cosmétiques avec leur marketing et leur contenu. En revanche, il me semblait plutôt rationnel de tirer profit de mes compétences en photo et vidéo. Le premier événement que j'ai couvert était un concert de Cécile Kayirebwa au Serena Hotel. Sur trente photographes et vidéastes, j'étais la seule femme. C’était la première fois que ça m’arrivait. Que tu aies confiance en toi ou non, c’est plutôt intimidant au début car tu vois tous les regards fixés sur toi, et tu ignores si c'est juste dans ta tête ou pas.


Pendant les mois qui ont suivi, je me suis longtemps demandée si c’était réellement important. Devais-je m’en soucier alors que je parvenais à décrocher des contrats ? Devais-je m’offusquer que l’on me demande si c’était un passe-temps alors que, de toute évidence, on ne posait pas les mêmes questions aux trente autres photographes et vidéastes qui couvraient le même évènement que moi ? Devais-je faire une remarque lorsque mes clients se dirigeaient vers mon assistant pour lui serrer la main en pensant qu’il devait être à la tête du projet ? Devais-je prendre le temps de répondre lorsque l’on me demandait si je savais utiliser ma caméra alors que je l’avais dans les mains ? Devais-je faire une remarque à l’homme que je venais à peine de rencontrer et qui portait mes affaires lorsqu’il me dit qu’il ne devrait rien porter si seulement j’avais choisi un parcours plus “normal” ?


Au début, tu prends sur toi car ces remarques ne semblent pas avoir beaucoup d’importance. Tu te demandes toujours si ces remarques sont sexistes ou si tes homologues masculins pourraient avoir les mêmes. Tu serais surprise du nombre de fois que j’ai relevé des commentaires et que l’on m’a répondu: « Oui, oui, je fais bien bel et bien cette remarque parce que tu es une fille. » Parfois, j’obtiens des excuses. D’autres fois, des excuses qui n’en sont pas vraiment : « Il faut nous comprendre. C’est difficile pour nous aussi de coopérer avec une fille lorsqu’on n’en a jamais vu dans notre secteur. Ce n’est pas de notre faute. »



Pourtant les industries créatives sont déjà bien assez difficiles, mais nous nous excusons constamment, en insérant des « Je suis désolée » dans tout ce que nous faisons et disons, pour tenter de justifier pourquoi ou comment nous faisons les choses.

En tant que femmes, nous voulons être appréciées. Nous voulons faire plaisir et être agréables. Nous ne voulons pas trop nous confronter, même lorsque nous ne sommes pas prises au sérieux voire même complètement mises à l’écart. Nous voulons être flexibles et patientes. Nous faisons des compromis et nous restons courtoises en toute circonstance. Pourtant les industries créatives sont déjà bien assez difficiles, mais nous nous excusons constamment, en insérant des « Je suis désolée » dans tout ce que nous faisons et disons, pour tenter de justifier pourquoi ou comment nous faisons les choses. Plus nous faisons cela, plus nous sommes confrontées au mansplaining, au manterrupting et aux comportements sexistes. Tout s’accumule très vite.




Un jour, alors que je filmais un mariage au Marriott avec quatre autres vidéastes que je sous-traitais, je me suis retrouvée avec une facture d’environ FRW 100’000. Ils avaient attendu que je sois occupée avec la mariée et ses demoiselles d’honneur qui se changeaient, pour prendre un brunch et me laisser la facture à mon nom. Est-ce que j’étais furieuse ? Oh que oui ! Mais je l’ai payée pour éviter d’avoir des ennuis avec la famille des mariés et m’assurer que le reste de la journée se passe bien. Autrement, je courais le risque potentiel de me retrouver sans vidéastes pour les heures qui suivaient et donc sans vidéo de mariage pour les mariés.


Toujours le même mariage : l'un des vidéastes m'a dit cinq minutes à peine avant le début de la cérémonie qu'il n'avait pas de caméra (il était caméraman !) bien qu'ils aient chacun reçu leur acompte pour la location du matériel. Quand j'ai essayé de le confronter, je me suis rapidement arrêtée parce que les garçons d'honneur étaient sur le point de faire leur entrée, et je ne voulais pas qu'ils me voient perdre la face. Alors j’ai tendu ma caméra au vidéaste et je suis restée sur le côté toute la cérémonie, levant la tête pour que mes larmes ne débordent pas et ne ruinent pas mon mascara. Quand je suis rentrée chez moi, j'ai réalisé que toutes mes batteries et cartes mémoire avaient été échangées avec des marques moins chères (et moins fonctionnelles du coup). Pour tout ça, je n’ai rien dit parce que j’avais trop peur de me disputer avec eux et de ne pas avoir d’équipe pour de futurs projets.


Le pire a été avec le propriétaire d'une entreprise de location de matériel avec lequel je pensais collaborer. Je lui avais proposé mon aide pour gérer ses réseaux sociaux et construire son site Internet en échange de l'utilisation de son matériel. Il a insisté pour faire plusieurs réunions pour discuter des termes de la collaboration. Il venait souvent me prendre en voiture mais m’embarquait alors dans ses courses.


Il me disait : « Je dois acheter rapidement des carreaux pour ma salle de bain à Kimironko. » Et je ne disais rien. Il avait environ l’âge de ma mère donc j’attendais silencieusement dans la voiture. Notre heure de réunion finissait par passer, alors il donnait la priorité à une réunion qu'il avait planifiée juste après la mienne, pour qu’il puisse respecter ses horaires. Je devais patienter pour la nôtre. Je m’installais donc à la même table en écoutant des conversations qui ne me concernaient pas ou alors j’étais assise à une table à côté de lui et je lisais des livres sur mon Kindle en attendant. Pour s'excuser, il me proposait de diner ensemble et je me retrouvais à rentrer à 23 heures, alors qu’à la base, nous avions fixé notre rendez-vous à 17 heures. Il me demandait : « Mais tes parents ne s’inquiètent pas quand tu rentres aussi tard ? »


Je lui répondais naïvement : « Mes parents ne vivent pas au Rwanda. Ça fait quelques années que je ne vis plus chez eux. » Et il souriait sournoisement.


La dernière réunion que nous avons eue avait eu lieu en pleine journée à Shokola. Il s'était plaint parce qu’on ne servait pas d’alcool dans ce café. Comme toujours, il m'avait proposé de me ramener à la maison. Comme j'avais été claire sur les termes de notre collaboration ce jour-là, et qu'il faisait encore jour, je me sentais assez confiante pour rentrer avec lui parce qu’il ne me poserait pas de questions sur mes parents qui s’inquièteraient de mes sorties nocturnes.


Alors que j'essayais de monter dans son 4x4, ma jupe est légèrement remontée au-dessus de mes genoux. Ma peau était gonflée comme cela arrive parfois. Il a fait semblant de s'inquiéter de mes allergies et a touché mon genou, puis l’a glissé doucement vers le haut de ma jambe. Ça a duré quelques secondes. J’aurais juré que ça n’arrivait que dans les films. J’ai toujours cru que si ça devait m’arriver, j’aurais le réflexe de gifler directement la personne. Mais je suis restée figée. Et je n’ai rien dit. Je n’ai rien dit à personne pendant deux semaines. Je suis retournée à son bureau parce que je voulais toujours utiliser son matériel, surtout depuis que j'avais fait ma part du contrat. Quelque part, j’essayais de me convaincre qu’il s’était juste inquiété de mes allergies après tout.


« Comment puis-je être sûr de pouvoir te faire confiance avec un tel équipement ? m’avait-il demandé, mon matériel est assez cher, tu sais ? » Puis, je me suis mise à citer toutes les tâches que j'avais accomplies et ce sur quoi nous nous étions entendus lors de la dernière réunion. Il éleva la voix et me dit fermement : « Non, tu ne recevras pas mon matériel. Il n’est destiné qu'aux professionnels. »


Une colère profonde s'est emparée de moi. Puis, c’est juste sorti tout seul de ma bouche sans même que je m'en rende compte : « MAIS TU ES FOU ! »


« Moi ? Njyewe ? Ndi umusazi njyewe ? » Il appela son personnel et leur dit : « Vous savez ce qu’elle a osé me dire ? Que je suis fou ! Moi, dans mon bureau ! »


Il était trop tard pour revenir en arrière. Je devais assumer jusqu’au bout et ne pas perdre mon sang-froid devant les membres de son personnel. « Oui. Je l'ai dit. Tu es fou. Tu es fou de penser que ce que tu as fait dans la voiture est acceptable. »


Il a tapé sur le bureau et a dit : « Toi, vraiment ! Tu n’as pas peur de briser des mariages. J'étais juste inquiet pour tes allergies. » J'ai pris mon sac et je suis partie. J’ai pris le premier taxi-moto que j’ai trouvé sur la route. Mes larmes coulaient cette fois-ci. J'avais l'air d’une dingue avec tout ce mascara sur mon visage.





J’ai hésité avant de partager ces histoires ici – en particulier la dernière, car je me demandais si elle serait mal interprétée. J’avais peur qu’on l’interprète mal et que ça laisse penser que je dis que tous les hommes ont un comportement identique. Je me suis demandée si on dirait : « Donc, en gros, il lui a vite fait touché la jambe, c’est ça ? Mais il y a des femmes qui subissent bien pire ! », ce qui est vrai. Je trouve encore difficile de verbaliser ce qui m’a mis hors de moi. C’était un mélange de tout à la fois. Je ne sais toujours pas si c’est parce que j’ai eu honte, parce que je n’ai pas senti le truc venir malgré les nombreux signaux plutôt clairs. Ou si je me sentais plutôt furieuse, parce que clairement, si je n’avais rien dit, ça aurait pu aller plus loin. Ou si j’étais à bout parce que j’avais encore du mal à trouver des clients qui me feraient suffisamment confiance dans leur entreprise. Ou alors, si je me sentais plutôt humiliée parce que j’avais passé des semaines à investir mon temps en pensant qu’en étant patiente, c’est comme ça que j’aurais des contrats.


Cette expérience a été un moment décisif qui m’a fait enregistrer ma société pour proposer mes propres services. Selon la taille du projet, je sous-traitais des photographes et vidéastes. Obtenir des contrats moi-même signifiait que dorénavant je pourrais prendre des décisions, que je recevrais l’argent sur mon compte en banque et que je payerais moi-même les sous-traitants. Aujourd'hui, je sais que je devrais plutôt opter pour des collaborateurs qui partagent une vision commune plutôt que d'entretenir une relation malsaine basée sur l'argent. Mais c’est tout ce que j’ai pu trouver pour commencer. Peu à peu, j'ai également commencé à choisir de travailler avec des collaborateurs plus jeunes, car je savais qu’étant plus âgée, ça m'aiderait à me sentir considérée et respectée. Ce n'est pas non plus ainsi que cela devrait se produire. Je devrais pouvoir collaborer avec des créatifs et être considérée parce que mon travail est une valeur ajoutée. Mais cela m'a certainement aidé à exprimer mes opinions et à prendre les rênes, que je sois la titulaire du contrat ou non, que je sois la plus âgée ou non, que je sois la seule femme ou non.





Au fur et à mesure que nous nous reconnaissons les unes les autres, que nous nous soutenons toutes mutuellement, c’est cette unité qui nous propulsera vers l’avant et qui nous permettra de faire en sorte que notre présence soit acceptée, normalisée et banalisée pour que nous puissions nous aussi être recommandées, référées et embauchées.

Maintenant que les femmes dans les industries créatives brisent le plafond de verre, j'espère que cet élan se poursuivra afin que nous puissions nous tirer vers le haut. Au fur et à mesure que nous nous reconnaissons les unes les autres, que nous nous soutenons toutes mutuellement, c’est cette unité qui nous propulsera vers l’avant et qui nous permettra de faire en sorte que notre présence soit acceptée, normalisée et banalisée pour que nous puissions nous aussi être recommandées, référées et embauchées. Parce que ce n’est pas seulement la responsabilité des femmes des industries créatives d’apporter le changement, mais la nôtre à tous, collectivement, afin de garantir la création d’une véritable culture d’inclusion.


Par conséquent, nous devrions tous choisir de contester les biais de genre dans les industries créatives, parce que nous sommes en mesure de le faire.



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