Inspiré par l'essor de la scène créative de la région, Nelson Niyakire ressent une énergie nouvelle en assistant à ce qui s'y passe. En tant que commissaire d'exposition, il est investi d'une mission essentielle : proposer des récits visuels saisissants à travers les œuvres d'art qu'il sélectionne pour les exposer. La vision de Nelson est de promouvoir la culture et la créativité dans la région, en encourageant les artistes à explorer leur potentiel artistique et à partager leurs talents avec un public plus large. De peur que le patrimoine artistique de la région ne disparaisse, Nelson rêve de la mise en place de structures solides pour garantir la protection et la préservation des créations artistiques. Convaincu que la culture et la créativité sont des éléments clés pour le développement durable de la région, Nelson est déterminé à travailler en tant que commissaire d'exposition pour promouvoir ces valeurs et faire rayonner les artistes locaux.
"Je ne pense pas que l'on choisisse l'art, mais que l'art s'impose à nous comme une évidence", explique Nelson Niyakire avec un sourire. Étudiant à l'Ecole des Beaux-Arts à Marseille avant de poursuivre le métier de commissaire d'exposition à Kigali, Nelson a découvert en la curation une pratique artistique à part entière qui offre la possibilité de donner vie à des récits visuels saisissants.
"Pour un artiste", poursuit-il, "créer implique de puiser dans ses émotions afin de donner vie à des œuvres porteuses de sens, qui offrent aux autres la possibilité de se connecter à eux-mêmes et au monde qui les entoure."
À la suite de mon invitation, Nelson est venu me rendre visite et m'a captivé avec son récit sur son parcours. J'ai été absorbée par son récit. Nous avons passé peut-être quatre heures ensemble, même si les premières heures ont été perdues en raison d'un enregistreur qui ne fonctionnait pas. Nous avons alors profité de ce temps pour discuter, puis lorsque l'enregistrement a finalement commencé, nous avons continué à échanger pendant deux heures supplémentaires. Échanger avec lui m'a confortée dans ma démarche de rencontrer des créatifs et des artistes à Kigali, car il y a tellement de choses intéressantes à explorer et à partager.
Pour lui, les visites d'expositions en France, où chaque tableau était disposé selon sa couleur et sa thématique avec une telle précision qu'en enlevant une seule pièce, l'ensemble de l'histoire était modifiée, a commencé à susciter chez Nelson un intérêt pour le métier de commissaire d'exposition. Aujourd'hui installé au Rwanda, il a choisi de mettre son talent de commissaire d'exposition au service de la créativité de la région.
“Il y a de nombreux artistes qui se demandent ce qu'un commissaire d'exposition fait réellement”, explique-t-il avec un sourire. “On pourrait penser que c'est simplement accrocher des tableaux au mur. Mais ce n'est pas le cas ! En réalité, un commissaire matérialise ces récits en concevant des expositions qui soulignent chaque pièce exposée.”
En effet, Nelson va bien au-delà de simplement accrocher les tableaux au mur. Il met la main à la pâte en déplaçant, en repositionnant, ou encore en étalant les tableaux par terre pour les disposer au mieux. En tant que véritable chef d'orchestre, il harmonise tous les éléments de l'exposition et offre une expérience de qualité esthétique, culturelle et intellectuelle aux visiteurs, depuis la sélection des photographes et de leurs œuvres jusqu'à l'écriture des textes d'accompagnement, la coordination, la mise en place et l'installation de l'exposition, ainsi que la communication avec le public. En décembre dernier, j'ai eu la chance d'assister à Nelson en train de travailler sur une exposition. Peu de temps après notre rencontre, il m'a proposé de participer à l'exposition "Que vois-tu?" co-commissionnée avec Vivaldi Ngenzi du Rwanda Art Museum, mettant en lumière le travail de femmes photographes. Participer à cette exposition a été une expérience enrichissante pour moi en tant que photographe, mais aussi elle m'a permis de réaliser l'importance d'un regard extérieur pour donner du sens à mes œuvres.
Fort de son expérience, Nelson crée Art of Niyakire, une entreprise spécialisée dans la curation artistique. En tant que défenseur convaincu de la culture, il croit fermement qu'une politique culturelle bien conçue peut avoir un impact important sur le développement économique d'un pays. Pour ce faire, Nelson travaille en étroite collaboration avec des artistes locaux afin de mettre en lumière leur travail et de promouvoir la créativité de la région à l'échelle nationale et internationale. Son objectif est de favoriser la reconnaissance des talents locaux tout en stimulant la croissance économique de la région par la promotion culturelle. En s'appuyant sur son expertise et son intérêt pour l'art, il est convaincu que la culture peut jouer un rôle clé dans le développement durable de la région.
Les débuts artistiques de Nelson
Nelson a toujours été passionné par le dessin depuis sa plus tendre enfance, explorant sans cesse des formes et des couleurs. C'est cependant pendant son adolescence que sa passion se transforme en véritable vocation. Lorsqu'il assiste à une exposition du collectif d'artistes Maoni à Bujumbura, il est profondément inspiré par leur travail et décide de les rejoindre. Après de nombreuses tentatives, Nelson finit par réussir à rencontrer un membre clé du collectif, ce qui lui permet d'intégrer l'organisation et de présenter son travail au public par la suite.
Malgré son succès grandissant, Nelson reçoit un jour une critique acerbe qui est venu titiller son égo. Au lieu de se laisser abattre, il décide de transformer cette critique en opportunité de croissance. Il crée alors une série de dessins intitulée "Tribunes Imaginaires", dans laquelle il démontre sa maîtrise technique et sa créativité. Depuis ce jour, Nelson n'a cessé d'explorer de nouvelles voies et de repousser les limites de sa créativité.
Un long chemin vers les Beaux-Arts de Marseille
En 2014, Nelson organise sa première exposition à Bujumbura, qui connaît un grand succès et attire l'attention de la directrice de l'Institut Français. Cette dernière l'encourage à postuler pour une bourse culturelle pour étudier en France. Nelson choisit Marseille pour son ambiance ensoleillée et sa proximité avec l'eau, qui lui rappellent son pays natal et lui permettent de continuer à s'inspirer et à explorer de nouvelles formes d'art.
Cependant, le processus de sélection pour la bourse comporte plusieurs étapes, dont des épreuves écrites, des dessins et un entretien avec un jury. Pour Nelson, cette expérience est entièrement nouvelle et il est bouleversé par la sévérité des critiques formulées par les juges, au point de voir certains étudiants quitter en pleurant. Face au jury, un professeur qui n'a pas levé la tête une seule fois pendant les 15 premières minutes, les yeux rivés sur sa tablette, lui demande soudainement : "Penses-tu être intelligent?" avant de retourner immédiatement à sa tablette sans attendre de réponse. Nelson se sent désarmé, sans savoir quoi dire.
Nelson et son ami avaient soumis leur candidature ensemble, mais malheureusement ils n'ont pas été retenus, laissant Nelson dans un état de profonde déception et d'incertitude quant à son avenir. Pendant que le Burundi était plongé dans une crise politique, les proches de Nelson lui conseillent de rester en France. Cependant, cette option n'est pas envisageable car leur absence annulerait la politique de bourse culturelle. Afin de ne pas priver les futures générations d'artistes de cette opportunité, Nelson prend la décision de rentrer au Burundi avec son ami. Bien que la situation dans le pays soit chaotique, Nelson refuse de se laisser décourager et commence à explorer de nouvelles opportunités. Étrangement, trois jours après son retour au Burundi, il reçoit un e-mail de l'école lui indiquant qu'ils se sont trompés dans les résultats du concours et lui proposant de venir étudier à l'école.
Nelson ne sait pas encore à ce stade de l'histoire que le professeur qui lui a posé la question sur son intelligence est celui qui convaincra le directeur de l'école de les accepter. Il argumentera que leur simple participation à un concours à des milliers de kilomètres de chez eux mérite de leur donner le droit de poursuivre leurs études à l'école. Heureusement, tout se termine bien : après trois ans d'études, Nelson parvient à décrocher son diplôme des Beaux-Arts.
Créer des laboratoires créatifs pour exploiter le potentiel culturel
Les circonstances politiques au Burundi ne sont pas au beau fixe. Cependant, Nelson ne se décourage pas et décide de poser ses valises au Rwanda, une destination reconnue comme un véritable carrefour de l'investissement et de la création artistique.
En novembre 2018, Nelson est accueilli par le Rwanda Art Initiative (RAI) qui lui propose d'organiser une exposition dans l'espace culturel de la ville. Nelson accepte avec enthousiasme et co-commissaire l'exposition avec Natacha Muziramakenga, qui lui fait découvrir des lieux et des artistes qu'il n'avait jamais imaginé connaître. Fort de cette inspiration, Nelson persuade Kevin Beaulier, qu'il avait rencontré au Burundi avant de se rendre à Kigali, de s'installer au Rwanda et de créer Maison Beaulier. Ensemble, ils établissent leur propre laboratoire culturel pour étudier la culture de la région, la partager et la promouvoir.
Préservation de l'art contemporain au Rwanda
Au fil du temps, la réflexion de Nelson se développe et mûrit. Ses préoccupations actuelles portent sur la protection des créations artistiques et les structures à mettre en place pour y parvenir. La réussite de la commercialisation des œuvres d'art nécessite des infrastructures solides et bien adaptées. Toutefois, la concurrence est rude avec des villes comme Marrakech, Le Caire, Dakar ou Johannesburg, qui ont déjà établi des structures de vente et de promotion de renom.
Des militants luttent actuellement en Afrique pour la restitution d'œuvres d'art spoliées pendant ou après la période coloniale, mais selon Nelson, il est également crucial de se concentrer sur la création artistique actuelle qui est souvent jetée, redessinée par-dessus ou même brûlée. Nelson connaît de nombreux artistes qui ont du mal à vendre leurs œuvres, même si certaines d'entre elles sont exceptionnelles. Ces artistes se voient parfois contraints de dessiner par-dessus leurs œuvres ou même de les détruire faute de moyens pour acheter de nouveaux supports. Nelson ne veut pas que toutes les œuvres soient achetées ou que la vente des œuvres rwandaises soit interdite, mais il pense qu'il est important d'acquérir au moins un petit pourcentage de ces œuvres pour construire leur patrimoine artistique. Il est convaincu que si cette protection n'est pas mise en place maintenant, il ne restera bientôt plus rien de ce patrimoine.
Pour répondre à cette problématique, Nelson participe à la création d'un premier fonds d'art contemporain au Rwanda, en collaboration avec l'ambassadeur Masozera, la direction générale du patrimoine rwandais et le Rwanda Art Museum à Kanombe. Le fonds stockera et préservera toutes les œuvres collectées dans un lieu de stockage soigneusement sélectionné. Il ne s'agit pas simplement d'accumuler des œuvres, mais de créer une collection cohérente grâce à une curation réfléchie des réserves. Les membres du fonds travailleront à déterminer la pertinence et l'utilité future de chaque œuvre.
Pour Nelson, la création du fonds d'art contemporain est un acte crucial dans la préservation et la valorisation de la culture rwandaise. Ce fonds a pour objectif de stocker et de préserver les œuvres d'art locaux, mais aussi de promouvoir leur importance et leur pertinence pour les générations futures. Le projet représente donc une réelle opportunité de redonner vie à la culture, en mettant en lumière les artistes locaux et leur travail, et en contribuant à faire rayonner le Rwanda, dans l'espoir de contribuer à l'émergence d'une société riche et épanouie, fière de son histoire et de sa culture.
Par ailleurs, selon Nelson, la créativité et la culture peuvent jouer un rôle essentiel pour permettre aux générations futures de retrouver leur histoire et de construire une vision d'avenir pour la région. Il est persuadé que les artistes ont le pouvoir de participer à l'élaboration d'une nouvelle perception de l'histoire et de la culture du Rwanda, ainsi que de l'ensemble de la région, y compris le Burundi, qui occupe une place toute particulière dans le cœur de Nelson. En donnant une place aux artistes locaux de toutes origines, le fonds d'art contemporain favorise l'expression de cette vision, en encourageant la création de nouveaux récits et de nouvelles perspectives sur l'histoire et la culture de la région.
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